LE DERNIER DALAÏ-LAMA?
José ArregiSa Sainteté le Dalaï Lama a laissé entendre qu'il pourrait renoncer à renaître en tant que tel et, par conséquent, à sa propre succession dans sa prochaine incarnation. Il n'y aurait plus de Dalaï-Lamas, et serait abrogée une institution qui a gouverné et régi le bouddhisme tibétain depuis 450 ans. C'est comme si le pape, non seulement démissionnait, mais aussi abrogeait la papauté. Serait-il grave pour les catholiques de n'avoir plus de pape ou de papauté? Serait-il grave pour les bouddhistes tibétains de manquer de Dalaï Lama ? Non, ce ne serait pas grave. Et un jour ce sera.
Permettez moi un bref détour pour rappeler la croyance bouddhique de la réincarnation, aussi connue soit elle: quand nous mourons, nous renaissons dans un corps différent, mais toujours souffrant, et ainsi de suite, jusqu'à ce que nous réussissions à dissoudre tout attachement à notre ego. Renaître, c'est souffrir. S'éveiller ou devenir Bouddha et se dissoudre dans le Soi ou Nirvana ou dans la plénitude du Vide est la plus haute aspiration d'un bouddhiste. Bien, mais dans le courant majoritaire du bouddhisme (Mahayana) et aussi dans le bouddhisme tibétain, il y a des êtres humains qui, après avoir atteint l'état de Bouddha et pouvant par conséquent se libérer de la réincarnation choisissent de renaître à nouveau dans un corps souffrant. Et ceci par pure compassion, afin de continuer à aider tous les êtres vivants souffrants, à atteindre la libération. Et ainsi de suite à chaque fois qu'ils abandonnent leurs corps jusqu'à ce que tous les êtres cessent de souffrir, ou de renaître et parviennent au SOI. Ces Bouddhas qui se réincarnent par compassion sont appelés bodhisattvas.
Eh bien, le Dalaï-Lama, dont le nom signifie "Océan de Sagesse", est l'un d'entre eux. L'actuel Dalaï-Lama serait la quatorzième réincarnation du Grand Lama tibétain Gedun Drup mort en 1474, et vénéré aussi en tant qu'incarnation de Tchenrézi, le Bouddha déifié de la Compassion, le grand Bodhisattva. Quand il quittera son corps, ses meilleurs disciples, à travers des visions et des contrôles complexes devront identifier l'enfant en qui il se sera réincarné, et le nommer nouveau Dalaï-Lama.
Mais qu'advient-il si le Dalaï Lama décide, encore vivant, de ne pas se réincarner dans ce rôle? Cela signifierait-il qu'il préfère s'installer pour toujours dans son heureux état de Bouddha céleste, renonçant à la compassion? Pas du tout. Ce serait plutôt une nouvelle preuve de sa sagesse spirituelle, qui sait distinguer dans sa tradition bouddhiste ce qui est essentiel – le détachement radical de l'ego et la compassion universelle envers tous les êtres – de ce que sont des croyances ou des pratiques de gouvernance obsolètes, propres aux cultures du passé. Et à propos, ce serait une bonne leçon pour le Vatican et son archaïque papauté médiévale, avec son pouvoir absolu et infaillible, devenue insoutenable, et en plus avec l'Évangile à la main.
Ce serait également un acte de résistance non-violente contre le régime chinois occupant du Tibet. Déjà en 2011, le Dalaï-Lama renonça à son pouvoir politique confiant au peuple tibétain la responsabilité de leur sort, ce qui irrita grandement la Chine; maintenant il semblerait qu'il se dispose à redonner à la communauté bouddhiste le pouvoir religieux, afin qu'elle même choisisse
ses représentants spirituels, et cela aussi a déplu à la Chine, qui vise également à contrôler le pouvoir religieux au Tibet.
Si le Dalaï Lama abrogeait l'ancienne institution, les bouddhistes en seraient gagnants. Quant à nous les non bouddhistes, cela ne nous dérangerait pas qu'il se "réincarne" ou pas, ou dans quel corps que ce soit . Nous nous soucions de ce qu'il nous enseigne aujourd'hui: le chemin de la transformation de l'esprit, le chemin de la paix, le chemin de la libération profonde; il nous enseigne que nous pouvons être des personnes meilleures et plus heureuses, et que pour y arriver nous devons penser différemment et développer un nouveau monde intérieur; il nous enseigne que la force et la violence ne sont pas les chemins de la vraie victoire, et que seuls le dialogue et la tolérance, la compassion, la responsabilité et le pardon nous permettent d'être heureux, de sauver l'humanité, de sauver la planète. Il nous enseigne aussi que la vraie religion est celle qui nous conduit à être meilleurs, mais que pour être meilleurs, nous n'avons besoin d'aucune religion, mais de la foi en la bonté. Et ce qu'il enseigne il le vit et l'incarne aujourd'hui, et aujourd'hui c'est toujours. Merci, Votre Sainteté!
Espérons que naissent beaucoup d'êtres qui vivraient et enseigneraient comme lui, seraient-ils ou pas sa réincarnation et qui s'appelleraient ou pas comme lui! En fin de compte ne sommes nous pas Un avec tous les êtres?
Joxe Arregi