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Libro de la biblia

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-

LES MORTS SONT VIVANTS

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Les cloches de l’église d’Aizarna ont sonné le glas. Elles ont rompu le calme de cette matinée d’automne, propageant dans la vallée la mémoire de Luisa, grand-mère nonagénaire de la ferme Irure, femme d’une extraordinaire force et tendresse, d’une hospitalité maternelle à l’égard de toute personne qui arrivait chez elle, peu importe qui ou comment fut-elle. Les ondes sonores du bronze se sont élevées au-dessus de Santa Engrazia vers l’Infini, se fondant avec la musique de l’univers sans mesure.  

Luisa, son esprit, sa conscience, “elle” … où est-elle partie? Se serait-elle dissoute dans le néant lorsque son éclatant sourire, son doux regard, la lumineuse paix de ses yeux se sont éteints ? La question me trouble, mais je ne puis  penser raisonnablement que quelque chose, quelqu’un, l’une des formes infinies de l’Être puisse se dissoudre dans le néant. Le néant n’existe pas, et rien ne peut en surgir. Toute forme est une conjonction de formes précédentes. Et tout ce qui conforme toute chose dans son aspect concret devient ensuite quelque chose d’autre, puis une autre, et ainsi de suite, sans arrêt, dans une constante transformation. Rien ne se transforme en rien.

Lorsqu’en automne la queue de la feuille se détache de la tige et, se balançant dans l’air, elle tombe sur le sol, elle se transforme de nouveau en terre et la terre en sève, la sève en bourgeon, feuille, fleur, fruit et graine enveloppée dans le fruit. Le fruit devient l’aliment des êtres vivants, et la graine se transforme en germe au sein de la terre. La vie continuera de vivre sous de nouvelles formes, merveilleuses et inépuisables. Rien n’est anéanti, tout se transforme. Le miracle du printemps commence en automne, et l’abondance de l’été dans le désert de l’hiver. Ou à l’envers: l’été vient de l’automne et l’hiver du printemps, dans la roue de la vie où tout ne fait qu’un.

Ou plutôt dans la spirale de la vie, car rien n’est de nouveau tel que cela a été, et la même forme ne se répète jamais. Observez et admirez : parmi les innombrables feuilles qui ont été, sont et seront sur la terre, jamais il n’y en a eu, il n’y en a et il n’y en aura deux semblables. Ni deux grains de sable ni deux sons de cloche exactement pareils, malgré les apparences. Il paraît qu’il n’a jamais existé, qu’il n’existe et qu’il n’existera pas même deux atomes entièrement identiques. Vraiment étonnant. Toute forme, vivante ou non vivante, depuis l’infiniment petit jusqu’à l’infiniment grand, dans tout l’univers, est différente de toutes les autres. Tout être est unique et différent. Infinie dignité de chaque être. Infini respect dû à chaque être.

Chaque être est unique et singulier, mais non isolé ni solitaire. Tout ce qui est depuis toujours est relié pour toujours à tout ce qui est, a été et sera. Cette fragile feuille qui commence à jaunir et se balance avec la brise du soir ne serait exactement telle qu’elle est, si dans cet univers, depuis le premier Big Bang jusqu’à aujourd’hui, il avait manqué une seule particule atomique à sa forme exacte. Nous sommes tous reliés à tous les êtres, non seulement du présent, mais également du passé le plus reculé et du futur le plus lointain. Seule la forme nous distingue, mais toutes les formes, nous sommes unies. Nous sommes interêtre, inter-êtres, inter-vivants, inter-humains, liés en tout à tout éternellement, depuis le premier neutron jusqu’aux galaxies encore non formées. Tous les êtres qui furent et même qui seront continuent d’être et de vivre sous notre forme particulière  actuelle, car nous sommes la transformation de ce que d’autres ont été, et d’autres seront la transformation de ce que nous sommes. On peut dire que chaque être garde la mémoire vivante de tout ce qu’il a été dans le passé et même de ce qu’il sera dans le futur. En quelque sorte, tout est en chaque être. Nous sommes un. 

Et nous sommes un dans le Tout sans forme qui nous fait être, dans le Fond de cette forme ou “moi” physique , mental et émotionnel, dans le Fond de cette conscience individuelle qui nous distingue et que nous croyons, de façon erronée, qu’elle nous sépare. Nous sommes un dans l’Être, l’Esprit, le Souffle Vital qui nous fait exister, respirer, vivre. Nous sommes communion de vie immortelle sous des formes infiniment diverses. Nous sommes un dans le Cœur éternel ou la Mémoire créatrice qui bat au plus profond des formes passagères. Chaque forme incarne la Mémoire du Tout. « La Parole se fit chair et habita parmi nous ». Il nous revient, à toi, à moi, à tous d’incarner la Mémoire vivificatrice de tous les morts. Quand nous nous en souvenons, c’est à dire quand nous les « amenons au Cœur* » bon de la vie, nous les faisons vivre. Infinie responsabilité mystique, écologique, politique : maintenir vivante la Vie ou la Mémoire de tous les êtres.

Je crois en « Dieu » en tant que Tout, Cœur, Mémoire ou Conscience de toutes les formes. Je crois que, de même que tout ce qui naît “meurt” à son ancienne forme – sa conscience individuelle distincte inclue –, tout ce qui meurt “naît” dans le Tout, dans la Mémoire ou dans la Conscience universelle de tous les êtres, dans cet univers ou dans un autre, au-delà de l’espace et du temps, sous une forme qui nous est inconnue. Je crois que le souffle vital ne meurt pas, que la vie ressuscite  sans cesse, que lorsque les cloches sonnent le glas elles annoncent la vie.

*En espagnol, « Cuando los recordamos ». "Recordar" (rappeler, se souvenir, faire mémoire) vient de la racine "cœur".

 

José Arregi

(Publié dans le journal DEIA et les quotidiens du Groupe NOTICIAS le 27 octobre 2019. Traduit de l’espagnol par Edurne Alegria)

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